Les acides gras (AG), en plus d’être une source importante d’énergie, sont essentiels à de nombreuses fonctions métaboliques : développement et fonctionnement du tissu nerveux, du système immunitaire, du système cardiovasculaire… Les apports en acides gras sont particulièrement importants chez le nourrisson, tant en quantité (besoins 3 à 5 fois plus élevés que chez l’adulte) qu’en qualité. Le Comité de nutrition de la SFP fait le point et propose ses recommandations [1].
Les apports conseillés
Il est difficile d’émettre des recommandations car de nombreux AG sont synthétisés par l’organisme, aucun n’est excrété
par voie urinaire et tous sont métabolisés. Ainsi, ANSES, FAO/OMS et EFSA parlent d’“apports adéquats” basés sur l’observation des apports d’enfants en bonne santé.
Lipides totaux
De la naissance à 3 ans, les besoins énergétiques sont importants : dépenses de base élevées et croissance rapide. Dans les premiers mois, les lipides représentent environ 35 % du gain de poids (80-90 % de la valeur énergétique des nouveaux tissus).
- Recommandations :
• ANSES : 45 à 50 % des apports énergétiques (AE) de 0 à 3 ans.
• FAO-OMS : 40 à 60 % avant 6 mois, puis 35 % jusqu’à 2 ans, puis 25 %.
• EFSA : 40 % de 6 à 12 mois, puis 35 à 40 %.
Des études épidémiologiques suggèrent que la croissance est correcte tant que les lipides sont > 30 % des AE. En-deçà, un risque d’apports inadéquats en vitamines liposolubles existe.
- Lait maternel :
Il sert de base pour les recommandations avant 1 an. Il apporte environ 50 % de son énergie sous forme de lipides, avec une proportion relativement constante de lipides, mais leur nature peut varier selon l’alimentation de la mère, la nature de ses réserves adipeuses et sa corpulence.
- Préparations pour nourrissons et de suite :
La réglementation européenne impose 40 à 54 % des AE (4,4-6 g/kcal = env 2,5-4 g/100 ml). L’article souligne que la réglementation donne peu d’indications sur la nature et l’origine des matières grasses mais que leur profil en AG s’approche de celui du lait maternel.
Acides gras essentiels AL et AAL (AGPI)
- Recommandations :
AL (ANSES, FAO-OMS) : 2,7 % des AE. AAL (ANSES) : 0,45 % des AE.
- Lait maternel :
La concentration en AL peut être très variable d’une femme à l’autre en fonction de son alimentation, ce qui rend les recommandations difficiles. Les changements d’alimentation du bétail, plus riche en céréales (riche en AL) et moins en herbage (riche en AAL), et l’augmentation des aliments courants riches en AL ont eu un impact sur la teneur en AL du lait maternel : elle est actuellement d’environ 6 % des AE (plus du double des apports conseillés). Le taux d’AAL ne semble pas avoir varié. ANSES et FAO-OMS insistent sur le risque d’apports trop importants en AL : diminution de synthèse du DHA à partir de l’AAL (compétition au niveau de la Δ6 désaturase), diminution d’incorporation du DHA dans les phospholipides tissulaires, augmentation du risque d’obésité à l’âge adulte (mais niveau de preuve faible).
- Préparations pour nourrissons et de suite :
La réglementation européenne impose une limite inférieure, conforme aux recommandations, avec un rapport AL/AAL entre 5 et 15 (mais ANSES et FAO-OMS considèrent davantage les quantités absolues en AL et AAL).
- Après la diversification :
Les huiles végétales sont indispensables à l’apport en AL et AAL, surtout chez l’enfant non allaité. A privilégier : huiles de colza, soja et noix. Arachide, pépins de raisin et tournesol sont à éviter en raison de leur teneur élevée en AL et faible en AAL. L’huile d’olive contient très peu d’AL et d’AAL. Des huiles végétales riches en AGE sont ajoutées dans la plupart des aliments pour bébé.
AGPI-LC
- Recommandations :
Total AGPI-LC (ANSES) : 1 % des AE pour ω-3, 2 % pour ω-6. DHA : ANSES 0,32 % des AE avant 6 mois, 70 mg/j de 1 à 3 ans ; FAO-OMS 0,2-0,36 % des AE avant 6 mois. EPA ≤ DHA. ANSES et FAO-OMS recommandent des apports en ARA, EPA et DHA pour tous les enfants de moins de 3 ans, car il a été constaté que les nourrissons nourris avec un lait infantile avaient un statut en DHA inférieur à ceux allaités.
- Lait maternel :
La concentration en DHA est très variable selon les apports alimentaires de la mère ; celle en ARA est moins sensible aux variations alimentaires.
- Préparations infantiles :
La réglementation autorise l’incorporation d’AGPI-LC, mais ne l’impose pas. Environ 1/3 des laits en contient, mais les taux d’ARA et DHA sont le plus souvent inférieurs aux recommandations.
- Aliments d’origine animale :
Privilégier les poissons pour couvrir les apports en AGPI-LC, particulièrement en DHA (teneur bien supérieure à celles des autres produits animaux). Mais la consommation trop fréquente de poisson soulève le problème de l’exposition à certains toxiques. Les oeufs peuvent être riches en DHA si les poules sont nourries avec de la farine de poisson.
Acides gras saturés
- Avant 6 mois :
ANSES et FAOOMS ne donnent aucune recommandation, alors que le lait maternel apporte 20 à 25 % de son énergie sous forme d’AGS (80 % acides laurique, myristique et palmitique ; 10-12 % acide palmitique).
- Laits infantiles :
La réglementation européenne impose un taux maximal d’acides laurique et myristique (20 % des matières grasses totales) du fait d’un possible risque athérogène, sans contrainte pour les autres acides gras (dont ac. palmitique).
- Après 6 mois :
L’ANSES conseille de diminuer les apports en AGS à 12 % de l’AE. FAO et OMS conseillent une réduction des AGS sans réduction de l’apport lipidique chez les enfants de plus de 2 ans issus d’une famille ayant une hypercholestérolémie.
Cholestérol
Il n’y a pas de recommandation, mais il semble préférable de se rapprocher des apports du lait maternel.
Les apports réels en lipides
Peu de données sont disponibles chez les jeunes enfants en France.
Enfants allaités
L’allaitement exclusif jusqu’à 6 mois, puis partiel, est considéré comme la référence. L’importance des variations de concentration en AGE et AGPILC suggère que les apports peuvent ne pas être optimaux, en particulier pour le DHA, ou trop élevés pour l’AL ; mais les données sont insuffisantes pour savoir si ce problème est réel. La composition du lait maternel au-delà de l’âge de 6 mois et les quantités de lait consommées étant peu connues, il n’est pas possible de conclure sur les apports en lipides des enfants allaités au-delà de 6 mois.
Enfants recevant une préparation pour nourrissons
Une enquête de 2005 chez 706 enfants non allaités de 1 à 36 mois [2] montre que les apports en lipides baissent progressivement avec la diversification, en restant dans les limites fixées par le comité FAO-OMS (baisse progressive jusqu’à 35 % de l’AE à l’âge de 24 mois). Les apports en AL et AAL sont nettement au-dessus des recommandations dans les 6 premiers mois : environ 7 % des AE le 1er mois (recommandation : 2,7 % minimum). Dans la tranche 6-12 mois, ils sont plus proches des recommandations, avec cependant de grandes variations individuelles. Cette enquête montre que, chez les enfants de 1 à 2 ans ne consommant pas de lait de croissance, 51 et 85 % avaient des apports en dessous des apports conseillés pour l’AL et l’AAL, contre 4 et 26 % pour ceux en consommant au moins 250 ml/j. La consommation d’AGPI-LC chez l’enfant non allaité n’est pas connue, mais est probablement inférieure aux recommandations car la plupart des préparations n’en contiennent pas.
Recommandation du comité de nutrition de la SFP
Enfants allaités de moins de 6 mois
L’allaitement, idéalement exclusif, reste la référence. Mais certains enfants allaités pourraient ne pas recevoir un apport optimal en DHA si leur mère a de faibles apports. Il faudrait donc conseiller aux femmes enceintes et allaitantes de consommer du poisson 2 fois/sem et chaque semaine un poisson gras riche en AGPILC afin d’avoir des apports adéquats en DHA. Même si le rôle d’une teneur élevée en AL du lait maternel dans l’augmentation du risque d’obésité chez l’enfant allaité est controversé, il est souhaitable, comme pour la population générale, de diminuer les apports en AL des femmes en âge de procréer (privilégier huiles de colza et de noix qui permettent de couvrir les apports recommandés en AAL tout en ayant un apport suffisant en AL ; éviter les huiles de maïs, arachide, pépins de raisin et tournesol).
Enfants nourris avec une préparation pour nourrissons
Il faut recommander les préparations enrichies en ARA et DHA apportant les niveaux recommandés de 0,5 % et 0,32 % des AG totaux. En l’absence d’obligation réglementaire, seulement un tiers en contient, le plus souvent en quantité insuffisante. Il est souhaitable d’utiliser celles dont la teneur en AL est la plus proche possible de la limite inférieure de 300 mg/100 kcal fixée par la réglementation. Il n’y a aucun argument pour penser que les AGS, aux teneurs observées dans ces préparations, et la présence d’huile de palme aient un effet délétère. Malgré l’absence de recommandations, la richesse en cholestérol du lait maternel et son importance physiologique pose la question, aujourd’hui non résolue, de l’utilisation exclusive de matières grasses végétales dépourvues de cholestérol dans ces préparations.
De 6 mois à 3 ans
Les lipides doivent représenter une part importante de la ration énergétique (peu de données pour fixer une limite inférieure). Les données épidémiologiques suggèrent que 35 à 40 % des AE, conformément aux recommandations EFSA, sont adéquats pour assurer une croissance optimale. Une diminution trop rapide de leurs apports peut avoir pour conséquence des apports insuffisants en AGE, particulièrement en AAL. Il faut bannir l’utilisation du lait demi-écrémé dans cette tranche d’âge et encourager l’utilisation des préparations de suite, ou de laits de croissance au-delà de 1 an, une consommation d’au moins 250 ml/j permettant d’assurer les apports recommandés en AGE. Les sources de matières grasses doivent être variées, sans exclure le beurre ou la crème, et comporter des huiles végétales riches en AAL (colza ou noix, à raison de 5 à 7 g/j = 6 à 8 ml). Au cours de la diversification, il est important d’apporter des aliments riches en AGPILC (poisson 2 fois/sem, 1 fois/ sem poisson gras riche en AGPILC), particulièrement chez l’enfant non allaité. L’utilisation de préparations de suite ou de laits de croissance enrichis en AGPI-LC permet d’atteindre plus facilement les niveaux d’apports recommandés.
POUR EN SAVOIR PLUS
1. Briend A et al. Lipid intake in children under 3 years of age in France. A position paper by the Committee on Nutrition of the French Society of Paediatrics. Arch Pediatr 2014 Apr ; 21 (4) : 424-38.
2. Fantino M et al. Apports nutritionnels en France en 2005 chez les enfants non allaités âgés de moins de 36 mois. Arch Pediatr 2008 ; 15 (hors série 4) : 32-47.
3. Composition des laits infantiles : www.laits.fr (Afpa).