La diversification menée par l’enfant, ou DME, est une méthode de diversification en vogue depuis la parution en 2008 du livre « Baby-led Weaning » de Mme Gill Rapley, puéricultrice et sage-femme anglaise. La DME est une méthode de diversification alimentaire qui consiste à proposer au nourrisson dès l’âge de 6 mois les aliments consommés par la famille sous forme de morceaux de la taille d’un doigt d’adulte ou d’un poing de bébé. L’enfant attrape lui-même les morceaux et choisit ce qu’il souhaite manger. Le comité de nutrition de la Société française de pédiatrie a fait le point sur les avantages, inconvénients et risques de cette technique dans un récent article des Archives de pédiatrie.
Pour ce faire, les auteurs ont effectué une revue exhaustive de la littérature et sélectionné les articles traitant de la réalisation pratique de la DME et ceux axés sur les risques et bénéfices de cette pratique (11 études observationnelles et 2 études randomisées contrôlées).
En quoi consiste la DME en pratique ?
La DME est possible sous certaines conditions, par exemple si le nourrisson a plus de 6 mois, né à terme, en bonne santé (en particulier sans trouble du neuro-développement identifié) et est capable de se tenir assis afin de pouvoir attraper les aliments disponibles sur la table. Le nourrisson mange à table avec le reste de la famille. Toute la famille mange les mêmes aliments. Les aliments en purée et l’utilisation de la cuillère ne sont pas utilisés dans la DME. L’allaitement maternel ou lait de suite sont proposés à la demande de l’enfant, même en dehors de ces repas.
DME : pratiques actuelles
La DME est surtout populaire dans les pays anglo-saxons et la NHS (National Health Service) anglaise ne la décourage pas. Cependant, les sociétés savantes européennes comme l’ESPGHAN (European Society of Pediatric Gastroenterology, Hepatology and Nutrition) ne la recommandent pas du fait de l’absence de données scientifiques suffisantes. De fait, la pratique de la DME est essentiellement encouragée par les médias/réseaux sociaux et peu par les médecins.
En France, il s’agit essentiellement d’une DME adaptée, avec utilisation, en complément de la DME conventionnelle, de cuillère et proposition de purées/compotes. De fait, les recommandations actuelles européennes sont de commencer la diversification à partir de 4 mois révolus, de diversifier au maximum en répétant les expositions aux aliments initialement peu appréciés et d’introduire les morceaux fondants vers 8-9 mois et dans tous les cas avant 10 mois. Ainsi, ces recommandations ne sont pas superposables aux modalités et pratiques de la DME conventionnelle, ni dans le temps ni dans le déroulé.
Données scientifiques sur la pratique de la DME
Plusieurs études, citées dans la publication de Bocquet et al., essentiellement observationnelles, ont permis de dégager des bénéfices et des inconvénients à la pratique de la DME. Il s’agit d’une synthèse des retours (parents/professionnels), où un même aspect peut parfois être un atout ou une faiblesse. En synthèse dans le tableau 1.
La DME modifiée
Une adaptation de la DME conventionnelle a été proposée par une équipe néo-zélandaise et évaluée par deux études randomisées contrôlées. Cette adaptation consiste notamment à proposer des aliments riches en fer à chaque repas.
Là encore, les apports en sel et graisses étaient supérieurs chez ces enfants en comparaison d’une alimentation diversifiée classique à 7 mois. En revanche, après proposition systématique d’aliments riches en fer à chaque repas, les apports en fer sont similaires en cas de DME modifiée et de diversification classique. Par ailleurs, la variété des aliments proposés et l’exposition à différentes textures au début de la diversification alimentaire est supérieure en cas de DME modifiée comparée à la diversification classique. Enfin, plusieurs études rapportent que les mères sont moins anxieuses, et que le nourrisson apprécie plus de manger et est moins sélectif. À noter cependant que le niveau socio-économique des mères pratiquent la DME modifiée était supérieure à celui des mères qui pratique une diversification classique, ce qui peut influencer les résultats.
Que penser de la DME ?
Les données actuelles ne donnent pas de réponses claires quant aux risques et avantages de la DME. En pratique, à 6 mois, environ 50 % des nourrissons sont théoriquement capables de tenir assis, ce qui limiterait le nombre d’enfants qui pourraient bénéficier de cette pratique. Cependant, une introduction plus précoce des morceaux, en fonction des capacités du nourrisson est sans doute souhaitable car les enquêtes montrent qu’elle est souvent trop tardive en France. Cela peut être favorisé par une alimentation faite maison avec des produits locaux, de saison et issus de l’agriculture biologique. En effet, alors que les petits pots industriels proposent une alimentation équilibrée et répondent à des exigences très strictes en termes de composition, ils ne permettent pas de proposer aux nourrissons des morceaux précocement, pouvant dans certains cas accroître le risque d’étouffement lorsque ceux-ci les commencent. Pour autant, la nourriture habituelle de la famille est généralement non adaptée aux nourrissons : elle est trop riche en produits d’origine animale, en sel, sucre, graisses saturées, etc. La pratique de la DME nécessite donc un respect des recommandations alimentaires pour l’âge, ce qui n’est pas accessible à toutes les familles.
DME : position du comité de nutrition de la Société française de pédiatrie
Le comité de nutrition (CN) relève que plusieurs aspects de la DME sont intéressants et pourraient être intégrés à la diversification classique, alors que certains autres ne paraissent pas souhaitables voire risqués.
Les bénéfices notés sont de :
– Prolonger l’allaitement maternel, sous réserve de ne pas retarder la diversification au-delà de 6 mois.
– Débuter des morceaux plus précocement.
– Favoriser les préparations maison, en respectant les recommandations nutritionnelles pour l’âge.
– Favoriser le respect de la satiété de l’enfant.
– Favoriser la convivialité lors des repas en famille.
Les risques potentiels sont de :
– Avoir une alimentation très déséquilibrée, notamment si le nourrisson décide de lui-même de privilégier les aliments riches en protéines animales, sel, sucre, graisses saturées, etc.
– Avoir une alimentation carencée en fer, notamment en cas de DME conventionnelle.
– Avoir une alimentation trop riche en graisses saturées mais insuffisante en lipides (45 % des apports énergétiques avant 3 ans).
– Avoir une alimentation sélective, l’enfant n’acceptant qu’un nombre limité d’aliments.
– Avoir une alimentation non rythmée par 4 repas par jour, les apports en produits laitiers étant en dehors des repas, sans recommandation de quantités.
– Augmenter le risque d’étouffement, cette question n’ayant pas été clairement tranchée dans les études réalisées.
Par ailleurs, le CN suggère d’être attentif à la pratique de la DME en crèche, qui pourrait ne pas être toujours appropriée.
Au total, le CN considère que les données actuelles ne permettent pas de recommander la DME.
RÉFÉRENCES
Bocquet A, Brancato S, Turck D et al. Committee on Nutrition of the French Society of Pediatrics (CNSFP). «Baby-led weaning» – Progress in infant feeding or risky trend? Arch Pediatr 2022 : S0929-693X(22)00182-8. doi: 10.1016/j.arcped.2022.08.012.