Le microbiote est crucial pour la santé humaine, à court et à long terme. La colonisation du tube digestif par des micro-organismes commence dès la naissance, lors du passage du nouveau-né par la filière vaginale. Cette colonisation va se poursuivre et s’enrichir grâce à l’exposition environnementale du nourrisson, en particulier via la peau de sa mère ou encore l’alimentation. Le lait maternel contient une diversité de micro-organismes vivants et non vivants, favorisant la formation de ce microbiote intestinal.
Durant les premiers mois de vie, ce microbiote va se diversifier et se complexifier. Divers événements, à la naissance (césarienne, antibiothérapie maternelle, etc.) ou ultérieurement (absence d’allaitement, antibiothérapie du nourrisson, etc.) vont modifier le développement de ce microbiote. De nombreuses pathologies du nourrisson (colique du nourrisson, constipation, diarrhée associée aux antibiotiques, etc.) sont associées à une dysbiose, caractérisée par un appauvrissement et/ou une diminution de la diversité du microbiote intestinal.
Quatre types de biotiques
Il existe de nombreux biotiques sur le marché, développés pour tenter de moduler et de rééquilibrer la flore intestinale. Il en existe quatre types définis par l’Association scientifique internationale des probiotiques et prébiotiques (ISAPP) :
- Les probiotiques : micro-organismes vivants qui, lorsqu’ils sont administrés en quantités adéquates, apportent un bénéfice pour la santé à l’hôte.
- Les prébiotiques : substrats utilisés sélectivement par les micro-organismes de l’hôte, conférant un bénéfice pour la santé.
- Les synbiotiques: mélanges comprenant des micro-organismes vivants et des substrats sélectivement utilisés par les micro-organismes de l’hôte, apportant un bénéfice pour la santé à l’hôte.
- Les postbiotiques: préparations de micro-organismes inanimés (non viables) et/ou de leurs composants qui confèrent un bénéfice pour la santé à l’hôte.
Recommandations
En 2023, l’ESPGHAN (European Society of Pediatric Gastro-Hepatology and Nutrition) a émis des recommandations sur l’utilisation des probiotiques ([i]) et des synbiotiques ([ii]) pour la population européenne. Si celles concernant les probiotiques nous permettent maintenant de les proposer à bon escient dans certaines pathologies digestives pédiatriques (www.gfhgnp.org/dossiers/fiches-pratiques), celles concernant les synbiotiques sont plus décevantes, les données actuelles de la littérature n’étant pas suffisantes pour conclure sur leur utilisation.
Dans tous les cas, ces recommandations ne concernent que les probiotiques ou synbiotiques non contenus dans les formules infantiles (FI). Or, ces dernières années, les industriels ont enrichi leurs FI avec différents biotiques (pré, pro ou syn ou postbiotiques) afin de rendre les FI plus proches du lait maternel et d’en mimer ses propriétés. Actuellement, aucune recommandation claire n’existe sur ce sujet, entraînant un flou pour le prescripteur.
Résultats d’études
Aujourd’hui, plus de la moitié des nourrissons nourris avec une FI consomment une formule enrichie en probiotiques en France. Ferro et al. ([i]) ont réalisé une revue systématique de 32 études randomisées contrôlées ayant évalué les effets de l’ajout de pré, pro ou synbiotiques dans des FI sur la flore microbienne et si les résultats étaient disponibles, sur la santé des nourrissons. Les résultats résumés de cette revue sont les suivants :
- Concernant les FI supplémentées en prébiotiques : la plupart des études (mais pas toutes) portant sur des FI supplémentées en prébiotiques ont montré une augmentation des niveaux de Bifidobactéries fécales. À l’inverse, pour les Lactobacilles et les Clostridium fécaux, les effets de la supplémentation en prébiotiques étaient variables.
La supplémentation en GOS (Galacto-OligoSaccharides) seule ou en combinaison avec un autre prébiotique était associée à une diminution de Clostridoides difficile dans les selles. En ce qui concerne l’impact des prébiotiques sur des paramètres cliniques, de nombreuses études ont trouvé des selles plus molles chez les nourrissons supplémentés avec deux prébiotiques.
- Concernant les FI supplémentées en probiotiques : les niveaux de Bifidobactéries fécales n’étaient pas clairement corrélés avec la supplémentation en Bifidobactéries dans les préparations pour nourrissons. Cependant, de manière générale, les niveaux de Lactobacilles fécaux étaient plus élevés chez les nourrissons supplémentés avec un probiotique dans les FI.
Enfin, l’impact des préparations pour nourrissons supplémentées en probiotiques sur la fréquence et la consistance des selles était variable.
- Concernant les FI supplémentées en synbiotiques : la plupart des études ont trouvé des niveaux plus élevés de Bifidobactéries fécales en cas de supplémentation. En revanche, les résultats sont variables d’une étude à l’autre pour les Lactobacilles, les Clostridium et les Staphylocoques fécaux.
L’ajout de synbiotiques aux préparations pour nourrissons a entraîné des selles plus molles et/ou une fréquence accrue des selles dans la plupart des études. Aucun effet sur les régurgitations n’a été signalé.
Dans tous les cas, toutes les études ont indiqué que les FI supplémentées étaient bien tolérées par les nourrissons.
Ces résultats sont concordants avec ceux de Lemoine et al. ([ii]) dont la revue plus large a inclus en plus des études randomisées contrôlées, les études cliniques et certaines études chez l’animal. Lemoine et al. se sont intéressés à l’impact des supplémentations en biotiques sur les infections du nourrisson et les manifestations allergiques. Les auteurs concluent que certains probiotiques (Bb12, B. animalis sp lactis HN019, L.fermentum CECT5716 et LGG) ont été associés à des taux moindres d’infections dans l’enfance, de dermatite atopique et une acquisition plus rapide de tolérance en cas d’allergie alimentaire. Des effets bénéfiques cliniques des prébiotiques (principalement GOS, FOS et HMO) ont été observés, en particulier, sur la réduction des infections des nourrissons et des dermatites atopiques.
Enfin concernant les synbiotiques et les postbiotiques, des résultats préliminaires sont intéressants pour la prévention des infections infantiles et des maladies atopiques, mais sont à confirmer.
Conclusion
Au total, si la supplémentation des FI avec des biotiques est prometteuse, il est encore difficile d’en évaluer les impacts cliniques sur la santé de l’enfant, ce d’autant que les méta-analyses sur le sujet sont difficiles à mener (hétérogénéité des biotiques utilisés, des durées de supplémentation et de suivi, des critères de jugement, etc.).
Les stratégies de supplémentation des FI sont très diverses et il est compliqué pour les prescripteurs et les parents de s’y retrouver. L’ESPGHAN devrait prochainement émettre des recommandations sur l’intérêt d’utiliser des FI supplémentées en biotiques.
RÉFÉRENCES
1. Szajewska H, Berni Canani R, Domellöf M et al. Probiotics for the management of pediatric gastrointestinal disorders: Position paper of the ESPGHAN special interest group on gut microbiota and modifications. J Pediatr Gastroenterol Nutr 2023 ; 76 : 232-47. doi: 10.1097/MPG.0000000000003633.
2. Hojsak I, Kolaček S, Mihatsch W et al. Synbiotics in the management of pediatric gastrointestinal disorders: Position paper of the ESPGHAN special interest group on gut microbiota and modifications. J Pediatr Gastroenterol Nutr 2023 ; 76 : 102-8. doi: 10.1097/MPG.0000000000003568.
3. Ferro LE, Crowley LN, Bittinger K et al. Effects of prebiotics, probiotics, and synbiotics on the infant gut microbiota and other health outcomes: A systematic review. Crit Rev Food Sci Nutr 2023 ; 63 : 5620-42. doi: 10.1080/10408398.2021.2022595.
4. Lemoine A, Tounian P, Adel-Patient K, Thomas M. Pre-, pro-, syn-, and Postbiotics in infant formulas: What are the immune benefits for infants? Nutrients 2023 ; 15 : 1231. doi: 10.3390/nu15051231.