Un paradoxe : des aliments spécifiques plus longtemps, des aliments inadaptés trop tôt
Le Secteur Français des Aliments de l’Enfance (SFAE) réalise tous les 8 ans, depuis 1981, une enquête sur les comportements alimentaires des mamans vis-à-vis de leur enfant (âgés de 0 à 3 ans). Il s’agit d’une source de données unique en France, qui apporte une photographie des comportements alimentaires et des apports nutritionnels des nourrissons et enfants en bas âge, selon une méthodologie reproduite permettant d’évaluer l’évolution des résultats dans le temps. Voici les résultats du premier volet de l’enquête Nutri Bébé 2013 Sfae-TNS-Sofres qui porte sur les comportements des parents vis-à-vis de leur bébé. Le volet sur les apports nutritionnels sera dévoilé courant 2014.
Quelle est la population étudiée ?
- Les bébés âgés de 15 jours à moins de 36 mois, à l’exclusion des enfants malades (maladie chronique ou aiguë), ayant un poids de naissance < 2,5 kg et éventuellement scolarisés.
- Au total, 1 188 mamans ont accepté de participer à l’étude (un échantillon représentatif de la population française, hors population en très grande précarité, sur les critères : âge, sexe du bébé, activité de la maman, catégorie socio-professionnelle et région/ agglomération de la famille).
La méthodologie de Nutri bébé
Deux visites ont été réalisées au domicile de chaque foyer par des enquêteurs professionnels. Ils ont eu pour mission de recueillir les réponses des mamans sur leur comportement vis-à-vis de l’alimentation de leur bébé (volet Comportement TNS-Sofres) et d’expliquer aux mamans comment renseigner sur 3 jours (2 jours de semaine et 1 jour de week-end) le carnet de consommation qui permet de connaître les apports nutritionnels de leur enfant (volet Apports nutritionnels avec le Credoc, dont les résultats ne sont pas encore disponibles).
Quels conseils les mamans suivent‑elles ?
- 76 % se basent sur leur instinct pour l’alimentation de leur enfant (87 % pour les femmes multipares et âgées de plus de 35 ans).
- 56 % ont recours aux conseils d’un médecin ; davantage lorsqu’il s’agit de mamans de moins de 25 ans (61 %).
- L’entourage représente la 3e source de conseils pour les mamans de bébés de moins de 5 mois.
Comment les repas sont-ils pris ?
- Dans 86 % des cas, c’est la mère qui prépare et se charge de donner les repas.
- L’implication du père commence à apparaître, mais faiblement : ils sont 2 % à donner régulièrement le repas (1 % en 2005). Les pères primipares sont les plus présents.
- Pour les enfants de 1 an à 3 ans : 64 % mangent en même temps que leurs parents (74 % chez les mères multipares, et 65 % pour les primipares). Fait important, 60 % des enfants de 12 à 23 mois mangent régulièrement la même chose que la famille, c’està- dire des aliments non adaptés à leurs besoins et à leur physiologie (figure 1), alors que l’alimentation des trois premières années joue un rôle sur sa santé future et qu’une alimentation non adaptée peut avoir un impact direct, comme une surcharge rénale en cas d’apport protéique trop élevé ou de sel ajouté.
Il semble qu’à partir de l’âge de 1 an, les mamans suivent moins bien les recommandations nutritionnelles : à partir de la marche, le bébé est considéré comme un grand et, de lui-même, il a tendance à imiter davantage les aînés… - 29 % des enfants, toutes tranches d’âge confondues, mangent devant un écran (TV, ordinateur, tablette…), alors que l’éducation alimentaire implique le calme et l’échange.
Quelle est la place de l’allaitement maternel ?
Pour la version 2013, Nutri Bébé a inclus les enfants allaités. Parmi ce nouveau panel :
- 46 % des enfants âgés de 15 jours à 3 mois sont allaités ;
- entre 8 et 11 mois, le taux d’allaitement chute, mais reste encore à 16 %.
La consommation des différents types de lait a-t-elle évolué ? (figure 2)
Par rapport à la précédente enquête (qui n’avait pas inclus les enfants allaités), les résultats les plus marquants sont les suivants :
Les laits infantiles
- Les laits infantiles liquides prêts à l’emploi sont majoritaires (63 %), et surtout utilisés après 12 mois (77 à 90 %).
- On note une augmentation d’utilisation des préparations pour nourrissons (laits 1er âge), due aux changements de recommandations depuis 2007 (les recommandations antérieures indiquaient leur utilisation jusqu’à l’âge de 4 mois ; à présent, elles peuvent être données jusqu’à l’âge de 6 mois).
- On relève également une augmentation de l’utilisation des laits de croissance (à partir de 1 an), recommandés de préférence au lait de vache (1) car ils contiennent 20 à 30 fois plus de fer, 2 fois moins de protéines, et sont plus riches en acides gras essentiels et vitamines A, D, E et C.
- Le passage au lait de croissance se fait sur les conseils d’un professionnel de santé dans 66 % des cas.
- Les mères qui ont allaité ont davantage tendance à donner ensuite à leur enfant du lait de croissance (lait de croissance 32 %, lait de vache 31 %) par rapport aux mères n’ayant pas allaité (25 % et 48 %). Malgré leur recherche de la naturalité, elles reconnaissent le bénéfice nutritionnel d’un produit plus technique qu’est le lait de croissance.
Le lait de vache
- Globalement, sa consommation diminue : 41 % en 2013, 47 % en 2005. Avant l’âge de 12 mois, 32 % des enfants en consomment en 2013, contre 44 % en 2005.
- L’âge de passage au lait de vache a reculé : de l’âge de 12 mois, en 2005, à 13,8 mois en 2013. Si ces évolutions vont dans le bon sens, la consommation de lait de vache est encore trop élevée, alors que le lait de croissance est recommandé de préférence jusqu’à l’âge de 3 ans (1, 2).
- Lorsque le lait de vache est consommé, il s’agit, dans 88 % des cas, de demi-écrémé et non entier. Or, l’enfant en bas âge a besoin d’un apport important en lipides (besoins énergétiques et développement cérébral).
- Les résultats varient également entre les primipares et les multipares, avec une différence significative concernant le lait de croissance, davantage donné par les primipares (figure 3), ou encore l’âge de la mère qui montre que les plus jeunes donnent significativement plus de lait de vache (figure 4).
- La consommation de lait de vache au détriment des laits spécifiques augmente enfin avec le faible niveau socio-économique. A titre indicatif, le surcoût du lait de croissance par rapport au lait de vache entier est seulement de 0,30 à 0,50 euros par jour.
Les autres laits
Nutri Bébé montre que la consommation de jus végétaux (amande, coco, châtaigne, riz, soja…) ou de laits d’autres animaux (chèvre, jument…), fortement déconseillée, est marginale.
La diversification alimentaire
Elle est mise en place essentiellement au moment du déjeuner et du goûter.
Le début de la diversification
- Nutri Bébé montre que 6 % des nourrissons de 15 jours à 3 mois commencent à manger autre chose que du lait . Mais le début de diversification est proche des recommandations (jamais avant 4 mois, de préférence pas après 6 mois). Entre 4 et 5 mois, 56 % consomment des aliments autres que le lait, entre 6 et 7 mois 96 %, et à partir de 1 an 100 %. Ce sont les mères les plus jeunes (moins de 25 ans) qui ont tendance à diversifier avant 4 mois.
- Le premier repas sans lait se fait en moyenne à 10 mois (8 mois en 2005).
- Les premiers aliments donnés à l’enfant suivent dans la majorité des cas les recommandations, avec l’introduction des légumes et des fruits, mais d’autres aliments sont donnés dès le début de la diversification (figure 5).
L’évolution des textures
- Les textures non lisses commencent à être introduites à partir de 6-7 mois, mais 82 % des enfants ont encore des aliments mixés lisses à cet âge.
- Entre 8 et 11 mois, 41 % mangent des petits morceaux, mais 47 % ont encore une alimentation lisse. L’alimentation grossièrement mixée ne doit pas être introduite trop tardivement car l’évolution des textures participe aussi à l’élargissement de la palette alimentaire.
Fait-maison, alimentation infantile et alimentation “adulte”
- Jusqu’à 11 mois, les aliments infantiles spécifiques et le fait-maison sont utilisés majoritairement
- Les premiers aliments non spécifiques (pain et yaourts) sont introduits entre 8 et 11 mois. La rupture se fait à 12 mois, avec une consommation majoritaire d’aliments non spécifiques.
- Les mamans qui ont allaité utilisent significativement plus le fait-maison, en particulier pour les potages, fruits, plats cuisinés, biscuits et viennoiseries, les jus de fruits, le pain et les sauces.
- Le fait-maison est une excellente solution, à la condition : d’utiliser des produits de qualité, de respecter les quantités de nutriments recommandées, essentiellement pour les protéines, de limiter le sel, d’éviter les sucres simples au profit des sucres complexes (céréales, féculents), de sélectionner les bons lipides (graisses végétales), et d’éviter toute graisse cuite ou friture. Or les frites sont données dès 8 mois (13 %) ; elles sont consommées par 60 % entre 12 et 23 mois, pour atteindre 83 % chez les 30-35 mois !
- Les plats industriels non spécifiques à base de viande ou de poisson sont consommés à 54 % dès 12 mois. Les biscuits, gâteaux, viennoiseries industrielles passent de 35 % dès 8-11 mois à 81 % chez les 12-23 mois ; les pâtes à tartiner au chocolat sont consommées par 26 % des 12-17 mois, pour atteindre 65 % à 30-36 mois.
- Les aliments spécifiques pour bébés sont une alternative utile car ils garantissent un équilibre nutritionnel, des quantités adéquates et la sécurité alimentaire.
Les boissons (figure 6)
Si les boissons spécifiques pour bébé commencent à être consommées tôt (16 % à 4-5 mois, 22 % à 6-7 mois, puis dans cette même proportion pour les tranches d’âge suivantes, jusqu’à 23 mois), les sirops ou boissons aromatisées et jus de fruits du commerce, sources inutiles de sucre, le sont aussi. Fait notable : la consommation de sodas apparaît dès 12 mois !
Le refus alimentaire
- Le refus alimentaire apparaît tôt : chez 57 % des 6-7 mois et 56 % des 8-11 mois . Puis il diminue : 46 % à 12-17 mois, 36 % à 18-23 mois, 31 % à 24-29 mois, 24 % à 30-35 mois.
- Il porte surtout sur les légumes (54 %), puis viandes/poissons/œuf (29 %). Les enfants allaités refusent moins ces aliments par rapport aux enfants non allaités.
- 48 % des mères incitent l’enfant à goûter de nouveau l’aliment, 47 % n’insistent pas et 17 % proposent autre chose. 30 % proposent l’aliment une nouvelle fois, ce qui correspond à l’attitude recommandée (à noter : on estime généralement qu’il faut 8 présentations pour que l’enfant accepte un nouvel aliment).
- Les plus jeunes mamans (moins de 25 ans) sont les plus nombreuses à déclarer forcer leur enfant à manger (16 %).
LES POINTS CLÉS
- Les recommandations nutritionnelles sont globalement mieux suivies qu’en 2005 (âge de passage aux préparations pour nourrissons et modalités de diversification).
- 46 % des nourrissons jusqu’à 3 mois sont allaités.
- Si on constate une augmentation de consommation du lait de croissance, le lait de vache reste trop consommé (40 % des enfants du panel).
- Le premier repas sans lait et l’introduction des morceaux ont tendance à être trop tardifs.
- On note une sur-implication des mères avant l’âge de 1 an, puis une rupture : 60 % des 12-23 mois mangent la même chose que leurs parents (alimentation adulte non adaptée).
- Les mamans baissent trop vite les bras devant un refus alimentaire.
- Un tiers des enfants mange devant un écran.
RÉFÉRENCES
1. Guides PNNS : www.mangerbouger.fr
2. Ghisolfi J et al., Comité de Nutrition de la Société Française de Pédiatrie. Lait de vache ou lait de croissance : quel lait recommander pour les enfants en bas âge ? Arch Pediatr 2011 ; 18 : 355-58.