Diversification Revue #22

L’âge de la diversification alimentaire, et en particulier pour les aliments dits allergisants comme le lait de vache, les œufs, ou le poisson, etc., a été sujet de nombreux débats et controverses ces dernières années. Bien sûr, l’âge de la diversification dépend du développement de l’enfant, de la maturité de son système digestif, de ses besoins en macro et micro-nutriments, mais il est apparu que la survenue de pathologies ultérieures, notamment atopiques pouvait être influencée par l’âge et les modalités de la diversification alimentaire.

Un nombre grandissant d’allergies

En effet, le nombre d’enfants avec allergie(s) alimentaire(s) a augmenté de façon importante ces dernières années dans les pays développés pour atteindre une prévalence proche de 5 % en France.
Lait de vache, oeufs entiers, poissons/crustacés, fruits à coque, arachide ou encore soja : ces allergènes très fréquents sont à l’origine d’une grande majorité des allergies alimentaires. Depuis une quinzaine d’années, de nombreux travaux ont montré qu’une introduction tardive d’aliments potentiellement allergisants comme le lait, les oeufs, le poisson ou le blé était associée à une augmentation des allergies. Cela a conduit à revoir les recommandations sur l’âge de la diversification alimentaire et à simplifier les messages.

Recommandation des sociétés savantes

Actuellement, les sociétés savantes européennes recommandent pour tous les nourrissons de commencer la diversification alimentaire entre le 5e et le 6e mois et l’OMS à partir de 6 mois en complément de l’allaitement maternel. Les restrictions ou décalages d’introduction des aliments potentiellement allergènes ont été supprimés. La société américaine de pédiatrie recommande cependant pour les enfants ayant un risque élevé d’allergie aux arachides (eczéma grave ou allergie aux oeufs précoces dans les 4 à 6 premiers mois de vie) un avis allergologique ou dermatologique avant de débuter l’arachide (1). Cependant, ces situations doivent rester l’exception, car il a été montré que chez ces enfants, l’introduction précoce des cacahouètes réduisait le risque d’allergie ultérieure (2).

Les bienfaits d’une diversification précoce

En 2014, Nwaru et al. ont constaté qu’une faible diversité d’aliments consommés à l’âge de 6 et 12 mois était associée à un risque accru d’asthme et de maladies allergiques dans l’enfance (3). Venter et al., dans une étude très récente (4), se sont intéressés à la qualité de cette diversification alimentaire et en particulier au rythme d’introduction des aliments. Dans cette optique, la diversification alimentaire des enfants inclus dans la cohorte FAIR (Food Allergy and Intolerance Research) a été étudiée. Il s’agit d’une cohorte anglaise comprenant 969 enfants inclus entre 2001 et 2002 et suivis dès la période de grossesse. Des questionnaires alimentaires réguliers ont ainsi été effectués prospectivement lors des premiers mois de vie. La diversification alimentaire a été évaluée en utilisant la classification de l’OMS. Ce score de diversification alimentaire intègre le nombre de catégories d’aliments consommés (céréales/racines/tubercules, légumineuses/noix, produits laitiers, aliments carnés, oeufs, fruits et légumes riches en vitamine A, autres fruits et légumes) et le nombre d’aliments dans chaque catégorie. Des sous-scores de diversification alimentaire végétale et de diversification alimentaire « allergènes » comprenant la consommation de lait, oeuf, blé, poisson, soja, arachide, noix, sésame, ont également été calculés.
Les enfants ont été suivis prospectivement jusqu’à 10 ans et une recherche d’allergie alimentaire/eczéma sur la base d’un interrogatoire, des tests cutanés et pour certains des tests de provocation orale a été effectuée. À l’âge de 1 an, 4 % des nourrissons avaient une allergie alimentaire (AA), 2,5 % à l’âge de 2 ans et 3,6 % à 10 ans. Les autres manifestations allergiques incluant asthme, eczéma, rhinite et les symptômes d’allergie alimentaire étaient beaucoup plus fréquents : 51,2 % à 1 an, 55,9 % à 2 ans et 52,5 % à 10 ans. Les manifestations allergiques, de tous types, atteignaient 86,4 % des enfants suivis sur les 10 premières années de vie.
Dès 6 mois et en analyse multivariée, une plus grande diversité alimentaire était associée à une réduction du risque d’allergie ultérieure à 1 an, 3 ans et au-delà de 10 ans. Les sous-scores de diversités alimentaires végétales et d’allergènes étaient eux aussi associés à une réduction du risque d’allergie chez l’enfant. De façon très intéressante, les auteurs ont calculé que pour chaque aliment différent introduit à 6 mois chez le nourrisson, le risque de développer une allergie au cours des 10 années suivantes diminuait de 24,9 %. De même, pour chaque aliment potentiellement allergisant débuté à 12 mois, la probabilité de développer une AA était réduite de 33,2 %. Les auteurs de cette étude concluent que les conseils aux parents doivent être de varier précocement l’alimentation proposée aux nourrissons.

Résultats d’une application téléphonique

En Australie également, la prévalence des allergies alimentaires chez l’enfant est très élevée. Ces dernières années, des guidelines ont été émises pour encourager les parents à débuter les allergènes alimentaires « communs » avant l’âge de 12 mois. Une équipe australienne a développé une application, SmartStartAllergy, afin d’évaluer l’âge d’introduction des allergènes alimentaires habituels et les éventuelles réactions allergiques (5). Après recrutement auprès des médecins généralistes, un SMS était envoyé aux parents lorsque leur enfant atteignait 12 mois : « votre enfant a-t-il déjà mangé de la cacahouète ? » Si oui, « votre enfant a-t-il déjà fait une réaction allergique à un aliment particulier ? ». Après ces deux SMS, les parents étaient redirigés vers l’application pour compléter un questionnaire plus approfondi. Plus de 3 300 parents ont été contactés par SMS ; 1 940 ont répondu et ont été inclus dans l’analyse et parmi ceux-là 46 % ont répondu au questionnaire en ligne. À 12 mois, 86,2 % des nourrissons avaient déjà consommé de l’arachide et 12,8 % des parents ont déclaré des réactions de nature allergique après consommation de certains aliments. Il s’agissait essentiellement de réactions à la consommation de produits laitiers (8,6 %), aux oeufs (6,9 %), à la cacahouète (2,6 %), au soja (2,4 %) et à d’autres allergènes hors blé, sésame, noix, poisson (8,3 %). Seule une partie (environ 60 %) des réactions décrites étaient évocatrices de réactions IgE médiées.
Au total, les auteurs concluent que la promotion de l’introduction précoce d’aliments potentiellement allergisants dans l’alimentation des nourrissons est efficace. Il existe probablement une surestimation parentale de l’allergie alimentaire, en sachant qu’il s’agissait d’un questionnaire déclaratif sans confirmation allergologique. Cependant, ce type d’application est un outil intéressant pour le dialogue et les échanges médecins-parents sur l’intérêt de proposer précocement à l’enfant tout type d’aliment.
L’intérêt d’une alimentation variée dès le début de la diversification alimentaire, tant en termes de catégories d’aliments, que de nombre d’aliments ou encore d’aliments réputés allergènes est maintenant bien démontré. Les parents doivent être encouragés à proposer précocement des saveurs diverses à l’enfant.

RÉFÉRENCES
1. Diane M. Duffy, MD. How complementary feeding in infants affects allergies, chronic disease, and neurodevelopment. JAAPA 2020 ; 33 : 14-8.
2. Du Toit G, Roberts G, Sayre PH et al. LEAP Study Team. Randomized trial of peanut consumption in infants at risk for peanut allergy. N Engl J Med 2015 ; 372 : 803-13.
3. Nwaru BI, Takkinen HM, Kaila M et al. Food diversity in infancy and the risk of childhood asthma and allergies. J Allergy Clin Immunol 2014 ; 133 : 1084-91.
4. Venter C, Maslin K, Holloway JW et al. Different measures of dietary diversity during infancy and the association with childhood food allergy in a UK birth cohort study. J Allergy Clin Immunol Pract 2020 ; 8 : 2017-26.
5. Michael O’Sullivan, Sandra Vale, Richard KS Loh et al. SmartStartAllergy: a novel tool for monitoring food allergen introduction in infants. Med J Aust 2020 ; 212 : 271-5.